Monsieur Jean Luquet, prince des mouliniers de l’Ardèche, nous a quitté hier.
La Galicière lui doit beaucoup. De 2006 à 2008 il a inventorié ses machines permettant ainsi leur inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.
On lui doit aussi le lexique figurant dans le livre “Galicière, une usine de moulinage de la soie”.
Sa connaissance de l’activité moulinière était immense !
Intrigué par l’incongruité d’un banc de doublage installé le long de la façade de l’atelier de la fabrique haute, il adresse quelque temps après sa visite un courrier à Nadia & Jean-Pascal pour leur faire part de ses réflexions.
Réflexions sur la possibilité d’une influence de la construction et la mise en marche de la filature avec l’implantation (non prévue) du doublage entre les fenêtres et les moulins (et dévidage) dans la plus ancienne salle, en somme sur un passage (couloir) qui ne leur était pas destiné.
Avant l’implantation de la filature la famille Crozel s’approvisionnait en soie grège (en flotte) chez les différents cultivateurs qui avaient une magnanerie et qui dès que les cocons étaient prêts s’empressaient de les filer (mettre en flottes) sur du matériel qui avait été remisé dans un coin toute l’année et qu’ils ressortaient chaque année. Ils l’installaient dans un endroit aéré à cause de la mauvaise odeur et le manque d’humidité ambiante nuisait à la bonne marche de cette mise en flottes.
La famille Crozel était ainsi obligé d’acheter de nombreux petits lots de grège (20 à 30 kgs) dont le titre du fil, le poids des flottes et le guindrage (Diamètre des flottes) variaient souvent pour chaque lot. D’où une production morcelée au moulinage où chaque ouvrière n’arrivait que péniblement à faire tourner 10 ou 15 tavelles…
Au contraire avec la nouvelle filature la famille Crozel pouvait choisir les agriculteurs les plus consciencieux et qui n’avaient plus qu’à élever les cocons. Souvent ils en mettaient dans les moindres endroits disponibles. Ils n’avaient plus à s’occuper de filature et dès que les cocons étaient « décoconnés » ils les vendaient à la famille Crozel qui les étouffait et les stockait dans tous les coins des étages supérieurs disponibles.
Ils avaient ainsi des lots importants de plusieurs centaines de kilos et pouvaient donc envisager de faire au moulinage des lots conséquents de trame, d’organsin ou de grenadine, article très demandé à partir de 1880 (c’est un organsin avec filage à 1650 tours z et torse à 1450 tours, livré en flotte). C’était un article assez bien payé contrairement à la trame qui demandait, elle, peu de force motrice.
Je pense donc – ce n’est qu’une hypothèse – que la famille Crozel s’est trouvée bien équipée en dévidage (il en fallait beaucoup, la soie artisanale dévidait mal) et en moulins souvent sous alimentés à cause de la mauvaise qualité des soies disparates.
Par contre le dévidage des flottes de leur filature marchant bien (70 tavelles) il leur a manqué des doublage pour faire tourner tout le matériel, d’où l’installation un peu « anachronique » de ces doublage le long des fenêtres dans un passage.
Une fois ces doublages installés, les productions bien équilibrées dans les 2 usines importantes et la production de la filature assurée, la famille Crozel a du connaître une époque faste jusqu’à la guerre de 1914 où tout fut bouleversé dans tous les domaines.