Analyse sur la production des usines de la Galicière

par M. Luquet, 22 septembre 2007

Lors de sa dernière visite à la Galicière, le 15 septmebre 2007, M. Luquet accompagné de Mme Adrienne Borne nous a livré son analyse sur la production des usines de la Galicière. Dans ce texte didactique, il nous explique comment les ouvrières procédaient pour faire de l’organsin.

Pour faire de l’organsin 2 bouts 20/22

Prendre 2 flottes de grège 20/22, les mouiller (c’est-à-dire les tremper dans l’eau tiède dans laquelle on a incorporé du savon légèrement détergent et de l’huile d’olive (mayonnaise ou savonnade) sauf pour les organsins destinés à la bluterie qui ne doit pas être mouillé, les faire légèrement sécher après les avoir tordues entre les mains pour enlever le plus gros de l’eau savonneuse. Ensuite on les tape entre deux bras pour les rendre plates, on cherche la capie qui attache le début et la fin de la flotte.

Puis on prend d’une main (gauche) une tavelle sur laquelle on positionne la flotte avec la capie du début sur le dessus. On étale la flotte sur toute la largeur de la tavelle, on enlève les capies de la filature en général au nombre de quatre. On coupe la capie qui comporte le début et on tire 1 à 2 mètres puis on l’applique sur un roquet au dévidage. Ce roquet doit tourner pour aller sur le moulin de filage à gauche en z. On a passé le fil dans un barbin entraîné par un mouvement de va-et-vient pour répartir également le fil sur la surface du roquet.Si une casse on cherche sur la flotte le bout cassé (souvent à cause d’un bouchon, qu’on élimine) et on rattache le bout à celui du roquet.

Lorsque la flotte est toute dévidée, on enlève le roquet plein de la broche de dévidage et on le plante sur un fuseau, coiffé d’une capelette, d’un moulin de filage tournant en Z gauche pour recevoir une torsion de 600 tours Z à 1 bout et réception sur une roquelle préalablement enfilée sur la baguette qui lui donne un mouvement de rotation qui enroule, le fil sur la roquelle. Le fil est guidé par un barbin qui a un mouvement de va-et-vient pour répartir également le fil sur la surface de la roquelle. Si une casse, on renoue le fil en marche et on coupe les brins avec les forces (ciseaux) indispensables pour faire des nœuds avec des brins réguliers.

Lorsque le roquet est terminé et la roquelle pleine, on cave (enlève) la baguette, on récupère la roquelle pleine ainsi qu’une autre qui a subi les mêmes opérations. On disposition les deux roquelles pleines sur la planche du doublage, verticalement, le fil sortant du même côté, on passe chacun des fils dans une sorte de demi-cercle en verre ensuite on les assemble tous les deux et on les passe dans une sorte de purgeoir (ou queue-de-rat) muni de feutrine pour les assembler bien régulièrement et ainsi éviter le «travelage» défaut bien connu de l’organsin. Les deux fils ainsi intimement assemblés sont enroulés sur un roquet pour aller à droite sur le torse à 450 tours S. Une fois le roquet plein, il faut bien le surveiller sur la fin parce que les deux roquelles n’ont jamais exactement la même longueur de fil et ça forme alors un «défilé» (passage à un bout) qu’il faut éliminer et font du déchet irrécupérable.

Les deux roquelles pleines et à deux bouts sont enlevées de la broche du doublage et plantées chacune sur un fuseau du torse tournant à droite S à 450 tours. On rajoute une capelette (en cuivre) munie d’une coronelle à une perle (boucle) dans laquelle on passe les deux fils assemblés et ensuite on attache ces fils (qui n’en forment plus qu’un) au guindre qui tourne lentement au-dessus. L’organsin ainsi obtenu est réparti sur le guindre toujours par un mouvement de va-et-vient d’un barbin situé devant le guindre et dans lequel passe l’organsin.

Lorsque les deux roquets sont vides et le guindre a reçu les deux flottes d’organsin, le torsier cave (enlève) le guindre du moulin et le positionne sur un chevalet situé devant un banc sur lequel est assise la «capieuse» qui va passer un bout de fil à capier (genre de cordon en soi fourni en général par le donneur d’ordre) dans les alvéoles formées par le réglage de va-et-vient. En général, on fait 4 capies par flotte, chaque capieuse a détendu les flottes en faisant glisser une partie du guindre pour en diminuer le diamètre.

Ensuite les flottes sont «déguindrées» et mises sur des supports en bois durs, très lisses et polis, les «chevilles» pour être triées (éliminer les passages travelés, les bouchons et autres défauts). Ces passages sont coupés et les flottes redévidés (après leur prise sur des tavelles d’un diamètre plus petit que les flottes de grège) sur des roquelles qui sont reflottées sur un flotteur qui simplement remet l’organsin trié de nouveau en flottes sans défaut et du même guindrage que les flottes sortant des torses. Ensuite, les flottes triées et bonnes sont attachées chacune en boucle sur elle-même puis assemblées une vingtaine en «mateaux» attaché par une flotte et emballés ainsi pour former des balles d’environ 100 kg (1 quintal).

Ces balles vont en général à la condition des soies de Lyon (ou St Etienne) pour être analysées et pesées. C’est le conditionnement qui fixe le poids net exact après dessication de quelques flottes prélevées dans la balle et rajout du poids d’humidité toléré.

Lorsqu’il s’agissait d’un lot de 5 à 10 balles de même origine, le donneur d’ordre faisait faire par la condition, un essai du nombre de tavelles qu’une ouvrière pouvait dévider et le moulinier pouvait prendre l’ouvraison si le nombre de tavelles était normal (c’est à dire, 40 à 45 tavelles). En dessous, il valait mieux qu’il s’abstienne, sauf s’il n’avait pas de travail par ailleurs, car il était sûr en faisant cette ouvraison de perdre de l’argent. Il fallait aussi qu’il discute les délais de livraison à cause de la mauvaise marche et se réserve le droit d’arrêter l’ouvraison si «la grège» est de trop mauvaise qualité.

Pour le tors S droite
Le roquet sur le fuseau doit sortir le bout à gauche.

Pour le tors Z gauche
Le roquet sur le fuseau doit sortir le bout à droite.

La qualité des soies était déterminée, on peut dire «fixée» par les conditions des soies de Lyon ou St Etienne (il y en a eu une à Aubenas et une autre à Privas surtout pour les soies filées dans la région).

La condition était un organisme officiel dont les conclusions n’étaient pas discutables (sauf avec procès, expertise etc…) Elle fixait le poids net conditionné des soies grèges importées et ce poids faisait foi sur tout le marché. Une fois l’ouvraison terminée, le moulinier façonnier envoyait directement ses balles d’ouvrées à la condition qui vérifiait le poids net rendu par le moulinier et c’est sur ce poids que la façon était payée au moulinier.

Le moulinier avait donc grand intérêt à ne pas faire de déchet. Le personnel était surveillé pour le déchet par le patron d’abord (à Marcols mon grand-père avait une tribune qui surplombait toute la salle de moulinage. Il y faisait son courrier, lettres et avis d’expédition et avait l’œil sur tout le personnel). Ensuite par la surveillante pour le dévidage et doublage (la surveillante apprenait aussi aux apprentis) puis le contremaître (souvent le mari de la surveillante) qui surveillait la bonne marche des moulins et de l’ensemble de la mécanique (roue, vitesse et humidité qui doit être constante. Quand il faisait trop chaud à l’usine certaines ouvrières ouvraient une porte donnant sur l’extérieur ce qui occasionnait des casse de fil dans toute l’usine.

Le contremaître contrôlait aussi la torsion avec un torsiomètre lorsque l’on mettait un nouvel article sur un moulin.

Compte tenu de tous ces détails, je pense que lorsque les usines tournaient à plein et compte tenu de la mauvaise qualité (à cette époque) des soies, il devait y avoir au moins une quarantaine d’ouvrières dans chacune des deux salles, la haute et la basse, sans compter l’encadrement (contremaître, entreteneur, …)

Au sujet de l’usine (la Basse) qui comporte beaucoup plus de moulins à baguettes de filage, il y a l’hypothèse qu’on y faisait de l’organsin 3 ou 4 bouts pour bluterie. Mais bien réfléchi, je pense qu’on devait y faire du poil 1 bout tordu de 1100 à 1500 tours Z gauche uniquement et qu’on livrait aux tisseurs des alentours parce qu’il était livré sur les roquelles directement sorties des baguettes et que les tisseurs rendaient au moulinier une fois qu’il avait utilisé le poil 1 bout et le moulinier les utilisaient de nouveau. Mais ce n’était guère possible qu’avec des tisseurs de la région (qui ne manquait pas à l’époque) à cause des transports des roquelles qui pesaient bien lourd par rapport au poids de soie ouvrée qu’elles pouvaient contenir. 8 grammes ?

Les organsins 2, 3 ou 4 bouts étaient la base de presque toutes les chaînes des différents tissus.

Mais il fallait pour faire du tissu aussi des trames. Pour faire de la trame, on prenait des flottes de grège 20/22 (par exemple ou 16/18), on les trempait dans un bain légèrement chaud fait avec de la «savonnade» comme pour l’organsin (il ne fallait pas déranger celui qui faisait son mélange d’huile et de savon exactement comme la cuisinière lorsqu’elle fait sa mayonnaise !!).

On étendait les flottes pour les faire sécher, on les mettaient sur des tavelles, on les dévider sur des roquelles qui allaient directement au doublage à 2, 3, 4, ou 5 bouts suivant la demande, et de là, sur un moulin de torse à droite S, on plantait les roquets sur les fuseaux des moulins de torse avec coronelle et capelette mais dont la torsion avaient été rabaissée à 120 à 200 tours S au mètre et la vitesse réduite de moitié. On faisait donc des flottes de 70 grammes environ qui étaient rapidement faites vu la faible torsion. Ensuite on cavait les guindres et on en capiait les flottes toujours à 4 capies par flottes. Cette ouvraison de trame occupait beaucoup de personne mais il fallait peu de force motrice. Alors l’été, elle pouvait remplaçait l’organsin qui demandait beaucoup plus de force motrice et ainsi garder le personnel mais avec un chiffre d’affaire moindre parce que les ouvraisons de trames étaient assez mal payées. En effet, c’était les petits mouliniers qui les «montaient» à l’année à des prix très bas.

Les deux salles de la Galicière ont sûrement fait des trames à certaines époques de demande de cet article.