Les machines de la Galicière

Par Sylvie Vincent, Conservateur en chef du patrimoine

© Conservation du Patrimoine en Isère
© Conservation du Patrimoine en Isère

Si l’usine de la Galicière séduit le passant par la qualité de son environnement et le charme des bâtiments qu’elle réunit, celle-ci réserve encore une ultime surprise en livrant l’intégralité de ses machines.

S’il peut paraître surprenant de qualifier d’esthétiques des machines de production, celles que l’on peut voir dans ces lieux ont véritablement belle allure. Les imposants moulins à retordre notamment, entièrement en bois de noyer, avec leur bâti d’environ 6 mètres de long sur 4 mètres de haut, leurs vargues nées d’un assemblage précis de multiples pièces, et leurs élégants rouages composés de pignons parfaitement ajustés, font ainsi forte impression. Construits sur mesure, ils font véritablement corps avec l’espace qui les abrite. Citons encore les longues banques de dévidage, également en noyer, garnies de leurs tavelles ou celles de doublage avec leurs petits tubes en verre formant spirale sur lesquels on accrochait le fil de soie. Moins volumineux mais tout aussi significatifs, les petits établis logés dans l’embrasure des fenêtres conservent encore, pour certains, leur outillage ; les trafusoirs, ces sortes de longues chevilles de bois dur destinées à recevoir les flottes de soie, demeurent fixés dans les murs ; le porte-lume qui permettait au moulinier d’accrocher sa lampe à huile, reste vissé au plafond. Ici, rien ne semble avoir bougé depuis la fermeture de l’usine dans les années 1930. On a d’autant plus le sentiment d’être transporté dans le temps que certains spécialistes datent cet ensemble de machines de la fin du XVIIIe siècle ou du début du XIXe siècle.

© Luc Boegly

Mais l’évocation de ces ateliers ne serait pas tout à fait complète ni juste, si nous ne parlions pas de ces jeunes filles venues des campagnes environnantes pour travailler sur ces machines. Pour ces ouvrières, le passage à l’usine est alors une étape intermédiaire entre leur adolescence et l’âge du mariage et du retour à la ferme familiale. Aujourd’hui encore, leur âme habite les lieux sous l’œil bienveillant ou plus sévère selon le cas, de la statue de la Vierge qui prenait place à l’intérieur d’une petite niche aménagée dans l’atelier. On les devine, ces jeunes ouvrières, circulant de façon agile sur les podiums qui séparent les banques de dévidage, frappant bruyamment les fuseaux sur les montants en bois des machines pour en extraire les bobines, les marquant ainsi à tout jamais par leurs trous de piquetage ; mais aussi, parfois, s’amusant à y inscrire leur nom et leur prénom. Ainsi si l’on est fin observateur, on trouve gravés ici et là de nombreuses initiales, mais aussi des noms (Yvette Vicat, Louise Chassony, Marguerite Vicat), des prénoms (Juliette, Vincent, Julie, Marie), des dates (13 mai 1903) ou encore de petits dessins naïfs composés de formes géométriques, de personnages ou d’animaux. Alors, même si ces machines se sont tues depuis longtemps, que les ouvrières ont quitté les lieux, la vie est encore bien là, logée au plus profond de ces ateliers. Un simple instant d’éternité pour le plaisir des yeux.

L’ensemble de ces machines a été inscrit au titre des Monuments historiques le 14 juin 2007.

© Luc Boegly
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