De la Chine à l’Isère, l’aventure soyeuse
Par Andrée Gautier
L’histoire du moulinage de soie Crozel de la Galicière s’inscrit dans une histoire plus large, celle de la soie.
Selon la légende, une princesse chinoise qui buvait son thé à l’ombre d’un mûrier retira de sa tasse un cocon et en tira le fil, effectuant involontairement le geste que feront à sa suite des générations d’ouvrières !
Cette légende contient sa part de vérité puisque la Chine fut le premier pays à fabriquer, à partir du fil du cocon du bombyx, des tissus qu’elle envoyait en Europe par la mythique route de la soie, en gardant précieusement le secret de leur fabrication. Par l’Orient, ce secret arrive néanmoins en Europe au Moyen Àge. Il faudra attendre l’arrivée du pape à Avignon en 1309 pour que des mûriers soient plantés le long de la vallée du Rhône pour les besoins des tisserands italiens qui l’accompagnent, et gagnent peu à peu les campagnes dauphinoises. Cependant, l’Italie continue d’exporter ses tissus, et c’est pour lutter contre les droits de douane élevés que les rois Louis XI et surtout François Ier décident d’établir en France une manufacture. En 1536 est créée La Fabrique Lyonnaise de Soieries, constituée de tous les corps de métiers nécessaires à la production des tissus, plus couramment appelée La Fabrique.
Un moulinage né dans la prospérité
Lorsque le moulinage Crozel naît au début du XVIIIe siècle, il profite d’une période de prospérité grâce à la réputation que les soies lyonnaises ont acquise. Il est en début de chaîne de tout un savoir-faire dont l’aboutissement se trouve dans les fameux ateliers des canuts lyonnais, où l’homme tisse, aidé de sa femme et de ses enfants qui sont employés aux travaux de préparation, bobinage, ourdissage, et aident à la manipulation du lourd métier à bras. Mais les capacités d’accueil de Lyon sont limitées, et les progrès techniques encore insuffisants pour envisager un meilleur rendement, aussi les fabricants choisissent-ils d’installer leurs métiers dans les départements proches de Lyon, le Rhône, l’Ain, la Loire, l’Isère… Un autre élément de nature sociale joue en faveur de cette évolution : la plus grande docilité de la main-d’œuvre rurale. C’est ainsi que certains fabricants qui hésitaient encore à avoir des métiers hors de Lyon se décident après les révoltes des canuts de 1831 et 1834, accélérant un phénomène déjà bien engagé.
Des facteurs favorables en Isère
En premier lieu la présence de paysans pauvres prêts à compléter leurs revenus par le travail à domicile. Les parcelles sont en effet petites, car elles doivent être partagées, la densité moyenne de la population étant supérieure à celle de la France. Il existe déjà en plusieurs endroits une tradition du travail du chanvre, et de fabrication de tissus : ratines à Roybon, toiles à voiles à Saint-Jean-de-Bournay, toiles à Saint-Marcellin et surtout à Voiron. La plupart des villages vivent selon les saisons au rythme des métiers à bras, mais au milieu du XIXe siècle se produit un phénomène consécutif à la mécanisation de certains métiers et leur concentration le long des cours d’eau : la Bourbre, la Morge et la Fure, autour de Moirans, Voiron, Rives, alors que le travail à domicile survivra longtemps. Autre conséquence de la mécanisation qui facilite le travail : la féminisation de la main-d’œuvre, les hommes passant progressivement du tissage proprement dit à l’encadrement et à l’entretien des métiers.